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Philippe Verdelot, présenté par Jacques Robert lors de la soirée "Philippe Verdelot Nicolas Machiavel et le Madrigal" au Salon Musical Scène-aux-Chants le 10 Octobre 2015" (suite)

Philippe  VERDELOT

 

Un contexte brillant

 

         Quelle époque ! soupirent les uns. Quels temps bénis ! savourent les autres. Quelle effervescence ! lance-t-on de toutes parts.

         On s’égratigne, on se bouscule. La vitalité des communes italiennes s’appuie sur un fort dynamisme économique. Mais tient aussi à la culture. Le Renaissance attise les braises d’un humanisme issu de Dante, de Pétrarque, de Boccace, de la peinture florentine – et plus largement toscane – du Quattrocento.

         On n’oubliera pas également que le rayonnement des communes italiennes ressort aussi de la pensée politique.

         Nous y sommes ! Le Pape, l’Empereur, la moindre des Communes en bisbille avec sa voisine alimentent des conflits théologiques et philosophiques qui donnent une grande vigueur à la vie publique.

         Culturel et moral tout d’abord, l’humanisme se révèle le creuset dans lequel nait une philosophie politique distincte de la théologie.

         Qui pourrait mieux illustrer cette période que Nicolo Machiavegli, considéré comme l’inventeur de la science politique ? A 29 ans, il est Secrétaire de la Chancellerie de la République de Florence, sa ville natale. A ce titre, il effectue de nombreuses missions diplomatiques.

         Las ! (mais heureusement pour la postérité) en 1512, les Médicis renversent la République. Machiavel est destitué. En 1515, il est accusé d’avoir conspiré. Il sera arrêté, emprisonné, torturé et finalement relâché. Disgrâce et exil. Il a 43 ans.

         Il se retire dans sa propriété de San Casciano et se consacre à l’écriture. Le Prince sera rédigé dès 1513. Suivront d’autres ouvrages : L’art de la guerre ; l’Histoire de Florence ; le Discours sur la Première Décade de Tite-Live. Des comédies : La Mandragore et La Clizia notamment…

         En 1518, par l’entremise du Cardinal Gulio de Médicis (futur Clément VII) , les Médicis lui confieront une mission importante en l’engageant à l’Université de Pise.

         Le cardinal, qui le reçoit en audience en 1520, sensible à ses qualités, le considère comme l’historien officiel des Médicis et le charge de composer une histoire de Florence.

        

         Notre histoire à nous retient trois personnages.

 

         Le deuxième héros est la Pape Clément VII. Celui qui est né en 1478 Giulio de Médicis, enfant naturel de Julien de Médicis, cardinal par la grâce de son cousin, Léon X, qui lui taille une carrière à sa mesure en gommant tout rappel de sa bâtardise. Il sera élu pape en novembre 1523 et le sera jusqu’à sa mort, le 25 septembre 1534.

         Clément VII, esprit éclairé fut ce qui s’appelle un grand mécène, plus soucieux de réalisations artistiques que de théologie. Avec lui, le trône de Saint-Pierre rompt avec l’austérité d’Adrien VI, Hollandais sourcilleux. Les artistes qui avaient déserté Rome, reviennent ; de nouveaux talents issus de toutes les régions d’Italie s’y retrouvent. On ne peut les citer tous… Parmigianino, Peruzzi, Caravaggio, Sebastiano del Piombo… Signalons qu’il charge Michel-Ange de représenter le jugement dernier dans la Chapelle Sixtine. Il commente et fait publier les œuvres d’Hippocrate ; approuve la somme de Copernic et veut la voir publier.

         Sur le plan des armes, il en sera tout autre. En difficulté avec Charles Quint, François 1er, puis Henri VIII d’Angleterre, le sort des combats lui sera souvent contraire. Cela lui vaudra la prison, le déguisement en mendiant, la fuite à Orvieto. Il sera humilié par Charles Quint qui lui prendra cinq cardinaux en otage. Ceux-ci, assez lestes sans doute se feront la courte échelle pour disparaître par la cheminée.

         La vie d’un pape n’était pas de tout repos ! Rappelons déjà que son élection aura demandé autour de deux mois. C’est suite à la médiation de trois cardinaux français et la promesse de faire de Pompeo Colonna, son grand rival, le chancelier du Saint-Siège que la petite fumée blanche sortira de la cheminée.

         Promesse non tenue, come il va de soi !

         Ce qui conduira, le 20 septembre 1526, le Cardinal Pompeo Colonna à pénétrer dans Rome avec 8000 hommes, contraignant Clément VII à conclure une trêve avec l’Empereur Charles Quint.

         Ce qui n’empêchera nullement le sac de Rome par les lansquenets du Connétable de Bourbon, à partir du 6 mai 1527. Un pillage méthodique qui, après la mort du chef d’un coup d’arquebuse dès les premiers moments de l’assaut, durera… durera… durera….. plus d’une année. Imaginez ! cela en fait des viols et des brigandages, des déprédations et des rapines…

         Quant à Florence, en raison des changements d’alliances, elle se retrouvera totalement isolée et subira peu après un siège de onze mois des troupes de Charles Quint et du Pape qui ramèneront dans leurs basques l’autocratie Médicis (1529-1530).

         La République cette fois-ci n’aura duré que trois ans.

        

         C’est dans ce contexte que s’introduit notre troisième personnage, et non des moindres !

         Philippe Verdelot, musicien français dont l’Italie fera éclore le talent ; figure parmi les deux « inventeurs » du madrigal de la Renaissance. Son œuvre sera riche : messes, motets, hymnes, Magnificat…  et fort nombreux madrigaux.

         Ne demandez pas comment cet homme venu du Nord s’est trouvé introduit dans les hautes sociétés de Florence et de Rome, mais posez-vous la question. Ne demandez pas comment, à partir des Loges, hameau ou lieu-dit de la Commune de Verdelot, il a pu très jeune se retrouver catapulté dans les cénacles artistiques de l’Italie de la Renaissance. Mais réfléchissez-y.

          On vous répondra toutefois que né aux Loges et s’appelant Philippe Deslouges, il s’est vite enrichi du surnom de Verdelot et très jeune, après un passage dans le Comtat Venaissin, terre papale s’il en était,  s’est trouvé introduit dans les cours et les milieux culturels de Rome et de Florence. Là, il sera quelquefois appelé Verdelotto, comme un enfant du pays

         La terre de Verdelot, arrondissement de Rebais, était riche en ces années effervescentes du XV ème siècle de couvents et d’abbayes. La musique y tenait sa place. Les clercs y avaient bonne oreille. Il s’est trouvé l’un d’eux, enthousiasmé par les talents du jeune prodige, pour le signaler à ses supérieurs qui l’ont adressé aux hautes autorités religieuses du Comtat Venaissin. Là, il s’est perfectionné, assurant ainsi son billet d’entrée dans l’Italie des Papes. On aimerait que Verdelot partage avec nous les confidences faites à Machiavel sur ce point.  

         L’année exacte de sa naissance n’est pas connue. Elle se situerait entre 1480 et 1485. On sait de lui qu’en 1523, il est nommé Maître de chapelle au Baptistère St Jean à Florence, charge qu’il assume jusqu’en 1525 ; ainsi qu’à la Cathédrale Santa Maria del Flore, position qu’il abandonnera en juin 1527.

         En 1524, il figure parmi les trois musiciens chargés de la musique du couronnement du nouveau pape, élu en novembre 1523, sous le nom de Clément VII.

        

          Ainsi, l’idée nous saisit que nos trois personnages ont crée entre eux des liens forts dans la croisée de destins éminents.

         Dès 1518, le Cardinal Giulio de Médicis, futur Clément VII, confie à Machiavel la mission importante d’écrire l’histoire des Médicis et de Florence et reçoit l’auteur du Prince en audience deux ans après. Alors que celui-ci reste encore persona non grata dans l’aréopage Médicis.

         En 1523, le pape fait la connaissance de Philippe Verdelot (et peut-être auparavant), l’un des trois musiciens chargés de l’accompagnement musical de la cérémonie du couronnement.

         Quant à Nicolas Machiavel et Philippe Verdelot, nous savons qu’ils ont été amis, ce dernier assurant la partie musicale de la pièce illustrissime de Machiavel : La Mandragore, après celle de La Clizia. Par ailleurs, certains de ses madrigaux ont mis en musique des poèmes de Machiavel, incluant même la ballade dédiée à la maitresse de l’auteur du Prince, Barbara Salutati.

         Ces personnages ont eu l’occasion de se rencontrer sans doute plusieurs fois de l’un à l’autre. Les entrevues à trois ont dû être beaucoup moins fréquentes. L’histoire ne nous en dit rien.

         On peut faire confiance au déroulement concomitant des mouvements de l’histoire pour situer l’une de ces rencontres au cours de l’année 1526.

         Cette année là, en effet, les événements se succèdent :

 

- au mois de mai, se conclut l’alliance dénommée la Ligue de Cognac, réunissant François 1er, Henri VIII, Clément VII, Florence et quelques principautés italiennes. Nous laisserons parler le pape sur ce point.

- le 20 septembre : en opposition à la ligue, l’ennemi juré de Clément VII, le Cardinal Pompeo Colonna envahit Rome avec 8000 hommes, contraignant le pontife à conclure une trêve avec l’Empereur Charles Quint,

- après un long exil, Machiavel effectue un bref retour aux affaires, en qualité de Chancelier aux fortifications de Florence (nommé par les Médicis, lui le républicain). Il sera destitué l’année suivante avec le retour des républicains au pouvoir, qui lui reprocheront sa compromission avec les Médicis. Un comble pour lui, républicain.

- Machiavel a terminé l’Histoire de Florence qu’il soumet au Pape,

- il travaille avec Philippe Verdelot pour adjoindre une partie musicale à La Clizia (rédigée fin 1524) et à La Mandragore (rédigée entre 1518 et 1520)

- Machiavel et Philippe Verdelot dédieront au pape Clément VII la future représentation de La Mandragore. Cette représentation est prévue pour se donner à Faenza. Finalement, elle n’aura pas lieu.

 

         C’est dans le contexte un peu turbulent de ces événements que les trois protagonistes se sont retrouvés. Ils avaient beaucoup de choses à se dire. Ce sont des retrouvailles avant les grandes catastrophes : mort de Machiavel en juin 1527 ; sac de Rome à partir de mai 1527 et pillages pendant onze mois ; fuite du pape et prison ; Verdelot appelé dans la ville sainte par le Pape en 1527 (il quitte ses fonctions à Santa Maria del Flore fin juin) rentre dans une ville outragée par les bandits et les mercenaires.

         On se perd en conjectures sur la suite de son existence : parti à Rome sur la proposition du pape, il serait revenu à Florence peu avant 1530. Il semblerait qu’il ait échappé à l’épidémie de peste qui décime alors la Toscane ; on serait moins affirmatif sur sa survie au siège de la ville par les troupes de Charles Quint et du Pape pour rétablir l’autorité des Médicis. D’autres situent sa mort un peu plus tard, en 1532. Voire en 1552-54, selon l’écrivain  Ortanzo. Dans cette hypothèse, il serait parti vivre à Venise où beaucoup de ses madrigaux ont été imprimés entre 1540 & 1552. Ce qui n’est pas une preuve formelle de son passage à Venise ! Un fils de Machiavel, sera tué pour la défense de Florence, étendard en main.

 

         Surprenons, si vous le voulez bien, les trois protagonistes d’une rencontre historique peu banale ; exceptionnelle par la qualité des sujets en débat ; inattendue par l’origine de ses acteurs ; et qui aurait pu nous paraître, si nous ne connaissions rien des données de l’Histoire, comme totalement improbable.

 

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